
L’armée française et ses coopérations en Arctique.(Courtoisie Amées de France)
L’Hexagone se positionne sur l’échiquier polaire.
La Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées de la France a causé un mini esclandre fin aout avec la publication d’un document intitulé La France et les nouveaux enjeux stratégiques en Arctique.
Orné de photos d’avions militaires et de soldats, le document de 12 pages bénéficie d’une préface de la ministre des Armées, Florence Parly, qui affirme que l’Arctique n’appartient à personne et cite l’ancien premier ministre Michel Rocard, pour qui l’Arctique est un deuxième Moyen-Orient.
« Je pense que c’est un abus de langage qui voulait dire qu’il y a des eaux qui ne sont pas encore attribuées à des États, notamment par le processus de délimitation du plateau continental », analyse le chercheur français en sciences politiques à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Michael Delaunay,
M. Delaunay rappelle que la France est signataire de la convention de Montego Bay sur la compartimentation du droit de la mer, qu'elle possède des capacités militaires modestes en regard d’autres protagonistes de l’Arctique, et qu'elle n’a aucune velléité d’expansion territoriale en Arctique.
Le document, rappelle-t-il, vient compléter la Feuille de route française sur l’Arctique, parue en 2016, où étaient déjà abordés le thème de la sécurité.
« C’est une toute petite synthèse d’un document interne qui lui ne sera pas publié », dit M. Delaunay, où l’armée manifeste sa capacité de participer à « la sécurité de la zone et notamment à la sécurité maritime des intérêts français ».
Aucun indicateur de conflit
Son collègue à l’Observatoire de la politique et de la sécurité de l’Arctique (OPSA), Mathieu Landriault, s’esclaffe à l’évocation du document émis par l’armée française, qu’il qualifie « d’enflure rhétorique de haut niveau ».
Tout comme Michael Delaunay, Mathieu Landriault considère qu’il y a de la stabilité en Arctique, et que tous les États, même la Russie, dont l’image n’est pas toujours bonne au Canada, suivent les règles de la Commission des limites du plateau continental.
« Les indicateurs ne sont pas ceux d’un conflit, observe Mathieu Landriault. Le Moyen-Orient, nous sommes très loin de là. »
Le média norvégien High North News, dans son édition du 1er octobre, relève aussi la singularité du discours français et ce qu’il peut avoir de déconcertant pour le gouvernement norvégien, avec qui l’Hexagone collabore à plusieurs niveaux.
Collaboration multipartite
Une partie tangible de la présence militaire française en Arctique, explicitée dans le document s’effectue dans un cadre collaboratif.
« Les armées françaises sont assez présentes dans les exercices militaires conjoints, confirme Michael Delaunay, notamment ceux de l’OTAN, Trident et Juncture 18. […] Il y a une coopération soutenue avec le Canada. C’est assez fréquent qu’il y ait des contingents français inclus dans les exercices Grand Froid de l’armée canadienne, par exemple la plongée sous glace. C’est une coopération qui est très solide. »
La coopération de l’armée française avec d’autres pays, comme la Russie et la Norvège, lui permet de déployer ses forces dans des bases militaires comme celle de Bodo, pour l’exercice aérien annuel Arctic Challenge.
« Une unité des chasseurs alpins français, rappelle M. Delaunay, s’entraine partout dans le monde, au Groenland par exemple. […] Elle essaie de développer la spécialité du grand froid qui va permettre aux forces conventionnelles de pouvoir s’équiper et s’adapter à ces conditions. En gros, c’est une unité laboratoire qui s’entraine régulièrement dans l’Arctique. »
La France est également active dans la coopération scientifique — par exemple au sein des groupes de travail du Conseil de l’Arctique, où elle a le statut d’observateur — et dans l’exploitation des ressources. Le groupe pétrolier français Total possède respectivement 20 % et 10 % des projets d’exploitation gazière Yamal LNG et Arctic LNG2, en Sibérie.