
Océanographe de formation et spécialiste de l’océan arctique, Pierre Coupel participe régulièrement à des missions dans le Grand Nord. Il se spécialise en reportage et en vulgarisation scientifique par le biais de la réalisation de documentaire vidéo et par la photographie lors de ses expéditions. (Courtoisie PC)
Le réchauffement climatique entraine la fonte du pergélisol et libère des glaces des univers bactériologiques inédits qui font l’objet d’études scientifiques poussées pour déterminer leurs fonctions, leur utilité, mais aussi leur dangerosité.
Pierre Coupel est reporter scientifique. Il a couvert de nombreuses excursions dans le Nord canadien. Parmi elles, une étude sur l’univers invisible des microbiomes. « La région de la Baie d’Hudson est à la limite de la zone de dégel liée au réchauffement climatique, c’est une zone qui est très affectée, beaucoup plus que le reste de la planète. »
Un monde mystérieux
M. Coupel a accompagné des étudiants de l’Université Laval venus analyser les microbiomes présents sur le territoire. Ce sol gelé depuis des milliers d’années emprisonne tout un ensemble de bactéries et de virus. La fonte glaciaire libère cet univers, « ces zones abritent des quantités énormes de matières organiques en décomposition, qu’elles soient végétales ou animales, explique-t-il. Ces éléments, conservés dans la matière gelée, sont à présent au contact de l’air chaud. Il y a donc tout un consortium de microorganismes qui profitent de ce processus pour venir les dégrader par un agencement de microchampignons, de bactéries et de virus. Cet ensemble s’appelle le microbiome. »
Emprisonné depuis des milliers d’années, le microbiome intéresse particulièrement les scientifiques puisqu’il est totalement méconnu. « On découvre ce microbiome qui se développe au Canada, on ne connait pas vraiment son effet ni sa fonction. Il y a un gros travail de génétique qui se déroule en ce moment dans les universités pour essayer de décoder ces organismes », fait savoir le reporter scientifique.
Une utilité primordiale et ancestrale
« Des microbiomes, il y en a partout, dans le fond des océans, sur la surface de la Terre, des eaux jusque dans notre estomac. Par exemple, le nombre de microbiotes dans notre estomac correspond au nombre de grains de sable contenus dans une piscine olympique ! » détaille Pierre Coupel.
Les microbiomes sont présents sur terre depuis des millénaires et sont même à l’origine de l’apparition de la vie. M. Coupel explique que : « ce sont eux qui ont mis en place toutes les conditions favorables à la vie sur Terre, notamment l’oxygène, la fertilité des sols en nitrates, etc. Il y a une petite part qui est pathogène, mais la plupart ont une utilité très importante. »
Une utilité qui pourrait également s’étendre puisqu’ils sont actuellement à l’étude pour devenir des solutions à des problématiques écologiques. « Cette association est parfois utilisée pour dépolluer, dit M. Coupel. Des études tentent de trouver des microorganismes qui pourraient dégrader le pétrole dans les sols en cas de marée noire. » Bien qu’essentiels à la santé des systèmes, quelques inquiétudes subsistent.
Surveillance accrue
« Il y a eu des exemples en Russie ou a été constatée une forte mortalité de rênes contaminées par le virus de l’anthrax. Cette épidémie a également touché les bœufs musqués au Canada », soulève le reporter scientifique. Autre difficulté, le processus de décomposition engendré par le microbiome dégage une quantité importante de méthane, un gaz à effet de serre très puissant. « Ce gaz est 25 fois plus puissant que le CO2, c’est donc un enjeu de taille pour le climat de savoir quelle proportion de méthane va être libérée dans l’atmosphère. »
Restant alerte sur les impacts néfastes, Pierre Coupel explique que le danger se trouve essentiellement au niveau du réchauffement climatique et de « la migration de virus pathogènes du Sud vers le Nord »
Le maitre mot reste donc la surveillance de ces microbiomes afin de mesurer leurs impacts à court et long termes. Une surveillance scientifique, mais aussi individuelle par les habitants de ces territoires. « Sensibiliser les habitants dans le Nord et leur donner la possibilité financière de faire ce genre de travaux pourrait être un excellent indicateur pour une émergence de virus. Je ne pense pas que ce soit l’un danger des plus importants lié aux changements climatiques, mais c’est tout de même une chose à garder à l’œil », conclut-il.