Je pense à une marche sur les galets au bord de la mer. On en soulève un, ici et là au hasard, pour voir ce qu’il cache. Tantôt du sable, tantôt un morceau de carapace, un autre galet plus petit, beau ou laid, un bout d’algue… On ne verra jamais toute la plage d’un seul coup d’œil, mais on aura une idée de sa composition.
Soulevons donc quelques-uns de ces galets sur la question linguistique canadienne.
Je suis d’abord tombé sur un discours que Stéphane Dion a prononcé en 2013 à l’occasion du 50ème anniversaire de la Commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme. L’Institut d’études canadiennes de McGill, l’Université Concordia, l’Université d’Ottawa et le Commissariat aux langues officielles soulignaient l’événement.
L’actuel ministre des Affaires étrangères, alors dans l’Opposition, prédisait un bel avenir pour le bilinguisme au Canada. « Le bilinguisme anglais-français va demeurer une caractéristique fondamentale du Canada », disait-il.
Sur ce plan, les chances sont certainement excellentes. L’anglais et le français sont parmi les langues les plus en usage dans le monde, l’anglais s’imposant de plus en plus comme langue de communication universelle. Il se trouvera toujours des Canadiens qui voudront en tirer parti.
Ensuite, nous savons que le programme de français par immersion du Ottawa-Carleton District School Board comptait plus d’élèves que son programme anglais. Non, ce n’est pas une bizarrerie statistique, ni un pic soudain. La tendance se maintient depuis une bonne dizaine d’années. Elle s’observe aussi dans d’autres provinces comme en Saskatchewan et en Colombie-Britannique.
Et puis, je suis allé voir la pièce 887 de Robert Lepage; un texte résolument québécois qui relate les années 60, celles de la Révolution tranquille.
En artiste généreux, Robert Lepage s’est prêté à un échange avec le public après sa prestation. Il y a bien sûr été question de la langue. L’acteur et metteur en scène n’en a pas fait un élément de combat. Apprendre toute nouvelle langue est une ouverture sur le monde, sur la pensée, bref sur la vie, à ses yeux. Cela vaut pour l’anglais. Le public francophone l’a applaudit d’enthousiasme.
Voilà bien des petites choses qui témoignent d’une belle ouverture et qui font écho aux pronostics de Stéphane Dion.
Mais, il y a d’autres galets qui nous cachent des petites laideurs.
La Royal Canadian Mounted Police (RCMP) a tendance à prendre le pas sur la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
L’ancien député néo-démocrate d’Acadie Bathurst, Yvon Godin, ardent défenseur de la francophonie au Communes, n’a pas beaucoup aimé certains échanges avec le corps policier canadien.
Il s’est adressé quatre fois à la GRC pour se faire répondre par un « Sorry, I don’t speak French ». Pas content du tout, et n’ayant jamais eu peur des mots, il a porté plainte au Commissaire aux langues officielles. L’enquête qui a suivi lui a donné raison. La GRC devrait pouvoir répondre en français aux Canadiens qui le demandent.
Autre trouvaille décevante, des parents attendent toujours à Vancouver, une école pour leurs enfants équivalente à celles des anglophones. Ils ont en main une décision de la Cour suprême pour la demander. Mais qu’à cela ne tienne, le gouvernement de la Colombie-Britannique se fait toujours prier.
Par ailleurs, la question de l’éducation en français continue d’inquiéter dans d’autres régions du pays. Des Franco-Albertains et des Fransaskois attendent la même chose que les parents de Vancouver.
Pour en revenir au discours de Stéphane Dion, le bilinguisme n’est pas en danger, c’est certain. Mais pour cela, il ne suffit que d’une chose, que le français soit langue seconde. La Commission Laurendeau-Dunton, dont on célébrait le demi-siècle, portait aussi, rappelons-le, sur le biculturalisme.
Le véritable défi, c’est que chacune de ces cultures a, au même titre, droit de cité dans sa langue première. Ceci revient à dire qu’aucun des deux peuples ne doit être second. Le bilinguisme n’est que la présence de deux langues d’usage. L’égalité, c’est bien davantage.